
La nomination de Vincent Jeanbrun au ministère de la Ville et du Logement le 12 octobre dernier place les professionnels de l'immobilier neuf dans l'expectative.
Le nouveau ministre hérite d'un double défi : relancer l'investissement privé avec le statut du bailleur privé, retiré in extremis du projet de loi de finances 2026, tout en gérant l'opposition des organismes HLM à ses réformes du logement social.
Entre attentes du secteur privé et résistances du monde HLM, Vincent Jeanbrun devra naviguer entre des intérêts divergents pour définir sa politique du logement.
Un élu issu des quartiers populaires
Vincent Jeanbrun incarne le profil atypique d'un ministre issu du terrain. Né le 5 mai 1984 dans une famille modeste de L'Haÿ-les-Roses – père chauffeur-livreur devenu directeur des achats, mère au foyer d'origine italienne –, il a grandi dans les tours HLM du quartier Paul-Hochart avant de conquérir la mairie de sa ville natale en 2014.
À 29 ans, il devient alors le plus jeune maire d'une commune de plus de 30 000 habitants en France, faisant basculer à droite pour la première fois sous la Ve République cette commune historiquement ancrée à gauche. Cette victoire forge sa conviction que les quartiers populaires peuvent adhérer à un discours de droite pragmatique.
Son parcours s'accélère : conseiller régional d'Île-de-France depuis 2015, proche de Valérie Pécresse dont il fut l'assistant parlementaire, puis député en juillet 2024 avec seulement 545 voix d'avance sur la candidate insoumise Rachel Keke. Les émeutes de juillet 2023, lors desquelles son domicile est attaqué à la voiture-bélier, le propulsent sur la scène nationale comme symbole de la violence subie par les élus.
Cette trajectoire nourrit sa philosophie politique : réformer le logement social pour "qu'il soit une chance, pas une rente", selon sa formule. Une approche qui divise entre partisans d'une politique libérale et défenseurs du modèle solidaire français.
Le dossier brûlant du statut du bailleur privé
Vincent Jeanbrun doit d'abord trancher sur le statut du bailleur privé, véritable serpent de mer du secteur immobilier. Ce projet, initialement porté par Valérie Létard, avait été inclus dans le projet de loi de finances 2026 avant la chute du gouvernement en septembre 2025.
Le dispositif, formalisé dans un rapport parlementaire remis le 30 juin 2025 par Marc-Philippe Daubresse et Mickaël Cosson, prévoyait un amortissement fiscal de 5% pour le neuf et 4% pour l'ancien, avec des bonus pour les loyers modérés. Cette mesure constituait la principale attente des investisseurs privés pour relancer un marché du logement neuf en chute libre (environ -50% depuis la fin du Pinel).
Mais le gouvernement Lecornu a retiré cette mesure du PLF 2026 présenté le 14 octobre. Selon les experts du secteur, seul un amendement gouvernemental pourrait désormais remettre le projet sur la table lors des discussions budgétaires, "car comme il n'y a plus d'accroche sur le statut du bailleur privé dans le budget, il n'est pas possible de déposer un amendement parlementaire à ce sujet".
Les professionnels du secteur, de la Fédération des promoteurs immobiliers aux organismes de crédit, attendent une prise de position claire du nouveau ministre sur l'avenir de cette réforme.
Des positions sur le logement social qui divisent
Au-delà du dossier fiscal, Vincent Jeanbrun porte des réformes controversées du logement social. Sa proposition phare consiste à remplacer les baux perpétuels par un système de "bail 3-6-9" avec réévaluation triennale de la situation des locataires.
Cette mesure suscite une forte opposition du secteur HLM. L'Union sociale pour l'habitat (USH) dénonce une "vision purement comptable du logement" qui méconnaîtrait les réalités sociales. Les organismes HLM font valoir que les contrôles de ressources existent déjà et que les surloyers s'appliquent aux ménages dépassant les plafonds.
Ils craignent qu'une précarisation des baux n'aggrave l'instabilité résidentielle des locataires et ne complexifie la gestion locative. "Réduire la durée d'occupation reviendrait à affaiblir la solidarité nationale", argue l'USH.
Le plafonnement à 30% : une mesure juridiquement fragile
Vincent Jeanbrun propose également un "plafond anti-ghetto" limitant à 30% la part de logements sociaux par commune. Cette mesure se heurte aux contraintes légales existantes. La loi SRU impose actuellement un minimum de 20% dans les communes, et de nombreuses collectivités dépassent déjà les 30%.
Les élus locaux sont partagés : certains y voient un moyen de rééquilibrer leur territoire, d'autres craignent de devoir expulser des familles ou démolir des logements existants. Les associations de défense du droit au logement dénoncent une mesure "idéologique" qui pourrait aggraver les inégalités territoriales.
Cette proposition nécessiterait des modifications législatives importantes et pourrait se heurter aux principes constitutionnels du droit au logement. Son application pratique reste donc très incertaine.
Des réactions professionnelles contrastées
Les premières réactions des professionnels révèlent des positions contrastées. Si certains promoteurs saluent la volonté de "débloquer" le système, ils restent prudents sur les modalités concrètes d'application. La Fédération française du bâtiment appelle surtout à des mesures de simplification réglementaire et à une stabilité budgétaire.
Du côté du logement social, l'opposition est plus marquée. Au-delà de l'USH, les associations de locataires et les élus de gauche dénoncent des "propositions ultra-libérales" qui "aggraveraient la crise du logement". Jacques Baudrier, adjoint PCF chargé du logement à Paris, se dit "atterré" par cette nomination.
À droite, certains élus locaux soutiennent les orientations du ministre tout en s'interrogeant sur leur faisabilité juridique et budgétaire. Les maires de communes populaires espèrent notamment une meilleure prise en compte de leurs contraintes territoriales.
Une nomination entachée par une enquête judiciaire
La désignation de Vincent Jeanbrun suscite également des interrogations en raison de l'enquête préliminaire qui le vise depuis septembre 2024. Le parquet de Créteil enquête pour "prise illégale d'intérêts", "recel" et "concussion" concernant l'attribution de deux logements de fonction lorsqu'il présidait le syndicat intercommunal des cimetières entre 2014 et 2020.
Selon l'association Anticor, à l'origine du signalement déposé en juillet 2024, Vincent Jeanbrun aurait attribué deux maisons de 150 m² situées à Chevilly-Larue à son directeur de cabinet et à son chef de cabinet pour un loyer mensuel de 700 euros chacun, soit "cinq fois inférieur au prix du marché". L'enquête porte également sur le paiement par la collectivité des factures d'électricité de ces logements, pour un montant cumulé de 45 000 euros.
Le ministre conteste catégoriquement ces accusations, assurant avoir agi "dans la légalité et la bonne foi" et pouvoir "démontrer sans difficulté" la régularité de ses décisions.




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